Sur les Chemins noirs est un film contemplatif qui évoque, de proche en proche, la magnificence de la France sauvage et la vie dans les campagnes, entre chaleur, temps de vivre et désertification. Il prend l’homme et le pays à bras-le-corps.
Denis Imbert, le réalisateur, a ainsi adapté au cinéma le livre autobiographique de Sylvain Tesson. L’histoire de l’écrivain voyageur, amoureux des cimes et des chemins escarpés, l’histoire de cet homme épris de liberté... qui chute. Au sens propre. Lors d’un accident idiot. A ce moment sa vie n’a tenu qu’à un fil, sa capacité de marcher aussi. Pour se reconstruire, il se fait une promesse : celle de traverser la France à pied, en suivant la diagonale du vide, du Mercantour jusqu’à la mer. Une entreprise insensée pour les médecins, une question de survie pour lui. Il dessine son itinéraire hors des sentiers balisés, en suivant ces chemins matérialisés par des traits noirs sur les cartes IGN, des drailles, des sentes d’animaux… Chemins de traverse pour renaître.
« J’ai préparé le film depuis Paris, avec un dictionnaire et une carte IGN. Quand je lis Sylvain Tesson, je refais le voyage. Il était hors de question de faire le film sans refaire le chemin emprunté par Sylvain Tesson, explique le réalisateur qui tenait aussi à se déplacer avec une petite équipe et gagner les lieux de tournage à pied. Je ne connaissais pas cette France, ces territoires ruraux c’est notre richesse et j’ai redessiné ma carte depuis. C’est ce qui me permet d’être avec vous ce soir », déclare Denis Imbert devant une salle comble venue assister à l’avant-première au Trianon de Marvejols, le 2 mars dernier.
Le tournage s’est déroulé sur neuf semaines, à travers six régions et dix-sept départements de France, dont les terres du Mont Lozère que l’on reconnaît à l’écran*. Une terre où il a rencontré Yves Servières, le « coup de cœur du tournage ». « Lors des repérages, nous étions complètement paumés et on est tombés sur cette voiture improbable venue d’un autre temps avec Yves au volant. Il s’est arrêté, nous a regardé avec nos cartes en 25000ème et nous a dit : " Si vous croyez à ces bêtises vous n’irez nulle part. Ma ferme est un peu plus loin, si vous y venez, je vous offrirai une Gentiane ", se souvient Denis Imbert. Il m’a rappelé un oncle agriculteur. Il avait cette même notion des choses. Il parle de nature avec le sens paysan ».
Comment filmer un homme seul qui marche dans les contrées les plus reculées de France ? Comment filmer cette solitude, ce silence, l’intimité d’un cheminement intérieur que l’homme a eu un besoin vital de ressentir dans ses jambes, dans ses muscles, dans son souffle ? « C’est un film à l’os, minimaliste. Lorsque je filmais Jean Dujardin, j’avais l’obsession absolue d’aller capter son âme, confie Denis Imbert. Je lui ai demandé de ne pas jouer et je laissais longtemps tourner la caméra pour saisir ce lâcher-prise ».
Les deux hommes se sont rencontrés autour du livre de Sylvain Tesson et d’une envie commune autour d’un sujet. « On a tous en nous des mauvais chapitres. On a besoin de se réparer et comme le disait l’écrivain Henry David Thoreau, la marche a la faculté de passer un rabot sur ces ombres. On avance, le sang circule, la pensée se met en action ». Le spectateur est embarqué, sac à dos et baskets, dans les pas de cet homme, qui se redresse, s’affermit, retrouve sa liberté.
Ce n’est pas la première fois que Denis Imbert s’inspire d’une histoire réelle pour réaliser un film. C’était déjà le cas pour Mystère. « Les films qui sont issus d’événements vécus permettent une meilleure identification du spectateur. Je m’y projette aussi plus facilement. D’ailleurs, lorsque mes amis ont vu Sur les chemins noirs, ils m’ont dit : " Tu nous as bien eus, en fait c’est un film sur toi " ». Un film sur le deuil, un film sur le cheminement qui s’invite aux détours d’une vie. Sur l’écran, l’immensité, les immensités et les plans serrés sur les traits de l’acteur. « C’est l’histoire d’un homme, c’est la conversation d’un visage avec un paysage ». Le spectateur croit s’immiscer dans les pensées du personnage, mais il plonge dans les siennes propres, dans l’aspiration ou le vertige d’aller chercher là, loin du monde qui braille.
* Le Département de la Lozère a soutenu financièrement le tournage du film.